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20 mai 2020 : "l'inconnue, à l'épreuve du coronavirus"
20 juin 2020 : "'Là où on ne peut pas aller plus loin' : les mégalithes"
20 juillet 2020 : "parier dans l'inconnue"
20 août 2020 : "une génération après l'autre, les vies humaines et leur éternité"
20 septembre 2020 : "l'altérité des autres pour moi"
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l'accueil Ste.Marine
bronze 1997
Peinture : Laetitia Guillon

    Le plus heureux qui me fut donné par ma sculpture, ce fut la quête incessante de m’exprimer en correspondance à la féminité de mes formes dans le marbre, la terre, le bronze, le cristal – ce fut ainsi de chercher et de m’accorder à l’inconnue, au mystère de l’autre pour moi qu’est la femme – autrement dit d’entrer dans notre condition humaine à base de proximité et différence d’homme et femme – l’altérité des autres. Car si divers soient-ils, les vécus d’altérité se font plus vifs et sensibles dans la relation sexuée, et cela déjà dans la flore et la faune, mais plus encore de femme à homme : puisque là, les relations sexuelles s’avèrent être alors le ressenti le plus aigu de l’attirance de proximité en même temps que de l’inconnu, de l’altérité (l’hétéro = coupure : sexe comme sécateur) – une proximité/altérité ressentie au vif du désir et à l’impérieux de la reproduction (1).

*

    Toutefois, il est clair que pour moi, ce n’est pas seulement, ce n’est pas d’abord, l’altérité de la femme qui a été mon expérience première de la différence et du mystère des êtres, des autres - sauf évidemment, le visage, les mots, la présence de ma mère me chérisssant et me donnant le sein. L’altérité pour moi, ce fut depuis mon enfance et ma jeunesse, tout ce qui m’a été donné de ressentir comme étonnant, tout ce qui me mettait en éveil, en attention, en interrogation, en quête de comprendre afin de savoir m’y accorder – tous les émerveillements de beauté. Ainsi ce furent tant de visages, tant d’attention bouleversante dans le regard d’un enfant, depuis celui du nouveau-né. Tant de cris déchirants dès sa naissance, et puis tant de regards souffrants ou découragés de la vie ; mais tant de sourires, tant de surprises de joie, tant d’éclats de gratitudes comme bouquets de printemps ; sans compter, la nuit, mes contemplations de ciels étoilés, tout attiré que j’étais dans l’infini. « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil » dit Shakespeare. Sans cela quelle altérité est-elle possible, quel vécu d’altérité ?
    Et puis voilà que sur ces béances d’attention, comme braises longuement attisées - voilà qu’est survenu le regard d’une femme aimante – son visage, sa présence à la fois désirante par son aménité, et mystérieuse, inatteignable, inconnue dans son altérité, dans son quant-à-soi, dans son attente d’être rejointe et aimée… Et à partir de là, l’entrée progressive dans une façon nouvelle d’aller ma vie et de me penser, non plus seul comme le philosophe, mais à deux, en duo, en dialogue, en dialectique… - autrement dit en différence, en altérité.

*

    Soixante ans plus tard, au soir de ma vie, que me reste-t-il comme vraies relations avec qui échanger ? Je serais porté à dire : presque plus. Car il me faut bien reconnaitre que depuis mon veuvage et entrant dans l’âge, me voilà de plus en plus rompu à mon individualisation, à mon unicité, ne serait-ce qu’à cause de mon parcours de vie si complexe et singulier. Clairement, il me revient d’avancer seul, serait-ce avec l’appui, l’accompagnement, le chérissement, la confiance de quelques proches – proches mais inéluctablement différents, conformément à cette heureuse chance de l’unité/dualité de notre condition créée homme/femme. Autrement dit : seul, je ne saurais qu’approfondir mon unicité, puisque c’est de moi-même que je dois me disposer en relation à la présence de chaque autre, chacun en quête d’une unité qui se cherche au sein de notre altérité. Soit donc une individualisation des plus précieuse de même qu’on entretient un feu, puisque c’est à moi, c’est à nous d’entretenir le lien seul à seul – afin de rendre nos échanges vrais - c’est à nous de concilier ces proximités/différences… et cela aussi jusque dans mon veuvage, avec mes proches dans la mort : certes des présences d’une intime proximité et d’une différence radicale – mais autant de proches dans le‘silence de leur amour’ (dans leur ‘joie’, leur ‘chérissement’ dit Jésus en Luc 15,7) - autant d’intimes qui entretiennent en moi leur ‘présence d’éternité’, tant que je sais les rejoindre par mon recueillement du souvenir.
    Somme toute, ce que nous apprend notre condition humaine à base d’homme et femme, ce que nous vivons continuellement dans nos relations de proximité et différence, c’est donc l’altérité des autres pour moi : l’individualisation et l’unicité de chacun de nous, à commencer par l’unité-altérité sexuelle – la proximité désirante et l’inconnue au mystère de la femme pour moi, homme, et réciproquement, de moi pour elle. Cette proximité-altérité du visage, de la présence de l’autre pour moi, signifiant ma responsabilité de le reconnaître unique, et par là notre juste correspondance seul-à-seul.

(1) Au dict. historique de la langue française, trois racines indoeuropéennes pour le terme homme : une pour l’espèce humaine et deux pour le mâle :
1. ghyom, la terre : l’être humain, né de la terre
      On note que l’Adam biblique, le terreux,       est créé d’emblée mâle et femelle dans le 1er récit de la Genèse,
      mais tout seul dans le second récit ;
2. ner , l’homme mâle, le guerrier (d’où anthropos, l’être humain) ;
3. viro, en latin vir (le puissant, le fort, opposé à femme et enfant ; le mari, le soldat) ;
     d’où le français vertu , virtuosité, virtualité, virulent….
     voire le francique wer-wulf (loup), le gothique wair (homme)
     et l’allemand Welt (monde) et l’anglais world (monde)

A l’inverse, pour la femme, il n’est qu’une seule racine, pour sept branches :
Elle vient de l’indoeuropéen : dhè : sucer, têter :
d’où le grec thèlê : mamelon,

le latin fecunda : fécond, fécondité,
le latin femina : femme, féminin, et femella, femelle,
le latin fillius : nourisson, fils,
le latin fetus : fécondité, fœtus,
le latin felix : qui produit, félicité, favorisé des dieux,
le latin fellare ; têter, sucer – fellation.

Questions :
    Pourquoi une racine pour l’espèce humaine (ghyom le terreux, Adam) et deux pour le mâle (ner et viro : guerrier et force, opposés à femme et enfant) ?
    Pourquoi, par différence, pour la femme, cette seule racine ( dhè, têter) qui dit sa poitrine allaitant l’enfant, son chérissement de mère, et non pas son ventre et son sexe, en rapport à celui de l’homme (tel le symbole de Vénus et de Mars) ?
    Pourquoi, parmi les sept branches, on trouve filius, l’enfant – cet enfant ignoré et absent chez l’homme, opposé à lui avec la femme (côté faible : ‘femmes et enfants’) ?
Et quant au symbole du mâle (Mars, la Guerre) pourquoi est-il clairement signifié dans son sexe dressé comme une arme, alors que le symbole de la femme (Vénus, l’Amour) ne présente aucune identité propre sinon celle que lui donne le sexe mâle en la pénétrant – cet enfoncement que les féministes prolongent en forme de poing, de prise de pouvoir – terrible contradiction ?