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20 mai 2020 : l'inconnue, à l'épreuve du coronavirus
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La tempête
marbre 2006 52cm


    Depuis ses débuts en novembre 2019 (presqu’aussitôt répercutés mondialement par les médias), la pandémie du coronavirus nous hante par ses inconnues – ses graves inconnues jusqu’à la plus sensible et obsédante : la mort. Toute la puissance médicale moderne a eu beau s’évertuer dans le monde entier, elle cherche en vain le vaccin et le remède de ce mal – et voilà l’humain, voilà l’humanité entière ramenée à son humilité, son humus, sa terre (sauf quelques esprits forts qui prétendent savoir et s’en jouer, tel Trump, Bolsonaro, et avant-hier Boris Johnson).
    L’inconnue, voilà bien à quoi cette épreuve donne vivement à réfléchir.

    L’inconnue : ce fut d’abord, en Chine, la surprise d’un laboratoire ayant maille à partir avec un virus qu’on ne connaissait pas, extrêmement contagieux, et, pour beaucoup, mortel. Et nous voilà, par le monde entier, d’inconnue en inconnue : comment est-on atteint par ce mal ? Quels symptômes ? Quels risques pour les personnes sensibles, spécialement les vieux ? Quelles mesures prendre, quelles barrières… et voilà les frontières qui se ferment, et les visages qui se masquent, les visages humains qui ne montrent plus ni bouches ni lèvres, ni sourires ni expressions… puis voilà les ‘arrêts maladie’ qui tombent au travail, les ‘droits de retrait’, puis les mesures de confinement, et par là un effondrement de l’économie, et par conséquent la terrible inconnue de la crise économique à venir… Jamais on n' aurait imaginé une telle épreuve par la propagation dans le monde entier d’un petit virus.
    J’ajouterais, mauvais ferment de l’inconnue - je dirais le terrible impact des médias qui tournent tant et plus, comme un vol de vautours, autour de cette pandémie, et qui par-là font de notre inquiétude une hantise, une obsession, ne serait-ce que par la répétition sur les écrans des scènes d’hôpitaux. « La mort, la mort toujours recommencée » comme chante Brassens. Tant et si bien que les autres nouvelles du monde s’appauvrissent de plus en plus, puisqu’il n’y a plus que ces considérations de covid19 qui importent, ces affaires de masques, de tests… de confinements et de morts.

    D’où l’importance, à mon sens, de distraire le débat, de l’élever quelque peu, et d’ouvrir à d’autres considérations, d’autres intelligences de ce vécu – cette tempête.

*

    La qualité d’un homme se mesurerait-elle à la part d’inconnue qu’il entretient en lui ? à la part interrogative de lui-même – cette part ouverte et attentive à ce qui reste caché, ou mystérieux, à tout ce qui s’offre à lui d’une étrangeté, d’une altérité hors de son atteinte ? Mais comment a-t-il été disposé à cette intelligence singulière qui le distingue de l’animal ? Comment cette part d’inconnue s’élève-t-elle en lui ?

    Dès sa naissance, sa ‘venue au monde’, le petit d’homme se fait attentif à ce monde inconnu, à ces visages et ces voix qui s’offrent à lui, à cette douceur des caresses, des soins et des chérissements de sa mère et son père dans leurs bras, à la dilection extrême de la tétée au sein de sa mère, telle une réédition du fusionnel de sa vie en son sein.

    Et puis plus tard, après bien d’autres découvertes, surprises, étonnements, émerveillements, interrogations… plus tard, à sa maturité, c’est l’inconnue de la femme qui vient fasciner et séduire l’homme, et réciproquement l’inconnue de l’homme pour la femme. Non pas que ce soit là la seule expérience de l’altérité en son inconnue, mais c’est la plus pleinement motivante du désir et du plaisir, et celle qui ‘touche’ le plus loin, tel le chant de la Flute enchantée : ‘l’homme et la femme qui s’aiment, touchent à Dieu’. C’est aussi, c’est surtout l’inconnue la plus féconde et procréatrice de l’un et de l’autre ; et de l’un par l’autre, car c’est alors que chacun se trouve entrainé et amené à ses propres profondeurs d’inconnue, d’altérité et de mystère par sa juste accordance à la mélodie aimante de l’autre.

    Autrement dit encore, voilà l’inconnue qui nous amène à reconnaitre la part cachée comme la plus précieuse de nous-même. De même que dans un bateau on distingue l’œuvre vive et l’œuvre morte : vive la partie immergée du navire qui ne peut être endommagée sans péril, faite de bois le plus dur et résistant, partie cachée, mouillée, qui attire moins l’attention, tandis que les œuvres mortes sont l’apparence du bateau, la partie au-dessus de la flottaison, faite de bois léger.