20 novembre 2019 : "homme et femme il les crée"
20 décembre 2019 : "La phénoménologie de Lévinas"
20 janvier 2020 : "La compassion, l'endurance, et non le dolorisme"
20 février 2020 : "L'amour, notre seul partage"
20 mars 2020 : "les dilections du passé qui donnent goût à la vie"
20 avril 2020 : 2000 ans de Christianisme : une religion dépassée"
"Nous autres civilisations,
nous savons maintenant que nous sommes mortelles"; (Paul Valery en 1918)'



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le vent
bronze 1999 h.46 cm


(écrit à l’automne 2019, avant la pandémie)

    Les 2000 ans de civilisation chrétienne sont venus après les 1000 ans de la religion de Moïse (de la Loi et des Prophètes bibliques), laquelle au début de notre ère, avait atteint un achèvement, un accomplissement, un dépassement… : une fin annoncée par Jean Baptiste, puis par Jésus, et poursuivie par Paul et par Jean – cette fin bientôt sanctionnée par le sac de Jérusalem et la chute du Temple en 70, suivie en 135, par la dispersion complète des Juifs jusqu’à leur ‘retour’ au 20ème sc.
    Signe en ce sens : au début de l’évangile de Luc (2,29), les mots du vieillard Syméon ‘qui attendait la Consolation d’Israël’ : monté au Temple où l’enfant Jésus était ‘présenté’, il le prit dans ses bras et dit : « Maintenant ô Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël » . Parlait-il de sa propre mort prochaine, ou bien, écrit par Luc vers 80, n’était-ce pas plutôt la fin de son peuple ? Au terme de sa longue histoire ayant ‘préparé’ la venue de cette ‘lumière’, de ce ‘salut’ pour tous les peuples – soit l’ouverture à l’universel depuis Israël, lequel, par là-même, va ‘s’éteindre’ – son accomplissement, sa gloire – telle la semence qui va s’enfouir en terre.

    Il y a 2000 ans, il y avait alors chez les Juifs de Palestine une tension extrême de ‘fin de monde’, d’accomplissement final, ‘ d’attente messianique’, d’un ‘Règne de Dieu tout proche’ – c’est ainsi qu’on s’explique la faveur des annonces de‘résurrection’ - et cela même dans une ouverture à l’universel qui ne pouvait que faire éclater la ‘souche’ d’Israël, son ‘germe’, son étroit nationalisme religieux (le Temple et ses sacrifices, la circoncision, les sabbats, la pureté alimentaire et des relations…)
    Cette attente fanatique de l’accomplissement messianique devait être, à l’époque, exaspérée par l’occupation romaine, avec les révoltes qu’elle suscitait (de même qu’un siècle auparavant du temps du régime grec)… et cela jusqu’à la révolte de 70 qui aboutit au sac de Jérusalem – rééditée en 135 avec une destruction et dispersion définitive – de véritables Shoahs.
    C’est cette même ferveur d’attente messianique qui animait et qui explique la communauté monastique de Qumran (entre -200 et 70 de notre ère : découverte depuis 1947, avec ses fameux ‘manuscrits’, une communauté religieuse d’hommes se consacrant entièrement à Dieu dans l’attente de l’Avènement imminent de son Messie – premier modèle de célibat religieux – ‘d’abstinence de la femme’ dira Paul pour lui-même (I Cor 7).
    Et c’est à proximité de Qumran, en contrebas sur le Jourdain, que Jean-Baptiste, ‘le plus grand des prophètes’ vint tancer le peuple d’Israël : « proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés : ‘Préparez le chemin du Seigneur… et toute chair verra le salut de Dieu’… Et d’avertir ‘tout le peuple dans l’attente : n’allez pas dire ‘Nous avons pour père Abraham’. Car Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham… » (Luc 3,4-9). C’était donc dire la fin de ce privilège – et par là l’ouverture à l’universel : ces ‘pierres’ qui allaient ‘surgir’.
    Survient alors Jésus, dernier prophète, baptisé par Jean. Ce Jésus de Nazareth, c’est-à-dire de cette Galilée qui est l’ouverture d’Israël sur des terres étrangères, sur les ‘Nations’ – d’ailleurs les itinéraires de Jésus ouvrent sans cesse de Jérusalem à ces terres lointaines – sans cesse donnant l’élan et élargissant le dévolu de Dieu, tel son échange avec une femme samaritaine à son puits, pour lui demander à boire, puis pour lui dire - elle qui s’enquiert où il faut adorer Dieu, à son temple samaritain (hérétique) ou à Jérusalem : ‘Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montage ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… L’heure vient, et nous y sommes, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité…’ (Jn 4,20-24). Et dire qu’il a fallu 2000 ans d’attente pour que ‘cette heure vienne’, cet au-delà de la religion chrétienne qui ne fit qu’abonder de ‘temples’, d’églises…. Ayant oublié l’autre recommandation de Jésus : « Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là dans le secret » (Mat 6,6). Car c’était aussi oublier le modèle de Jésus lui-même, qui ne prie jamais en foule, jamais au Temple, mais préférant se retirer seul en campagne, dans la nuit ou à l’aube (1).

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    S’il y eut achèvement et accomplissement de la Religion de la Loi de Moïse, c’est au double sens de la maturation et de l’accès au plein sens de ce que la Loi préfigurait, rendant ainsi caduques les formes religieuses précédentes.

    1. D’abord le Temple de Jérusalem : celui-ci n’étant plus compatible avec la perfection de la prière ‘en esprit et vérité’, et en toute discrétion, chacun se recueillant en son aparté, dans son cœur à cœur intime avec son Dieu. Discrédit aussi, en ce Temple, des rites de sacrifices. Jésus commençant son ‘ministère’ en chassant les vendeurs du Temple – ceux qui fournissaient le bétail pour les sacrifices. Et surtout, cette remarque reprise par deux fois : ‘Si vous aviez compris le sens de cette parole (de Dieu par le prophète Osée) : ‘C’est l’amour que je demande et non les sacrifices’ (Mat 9,13, répété en 12,7).

    2. Autre ‘pilier’ de cette religion biblique : le respect du repos du Sabbat , ce dont Jésus s’affranchit et en affranchit ses disciples – et cela, plusieurs fois, par provocation – sachant, dit-il, que « le sabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2,27).

    3. Autre trait caractéristique de la religion mosaïque dont Jésus s’affranchit : la pureté des relations – la non-compromission dans des relations avec des païens, des impurs. On vient de le voir avec l’audace de Jésus demandant à boire à une Samaritaine. Pire lorsqu’il se laisse toucher et caresser par une prostituée, alors qu’il est reçu dans un repas. Ce point sensible sera l’occasion de dissensions entre les premiers apôtres partant évangéliser en terres étrangères, donc mangeant avec des étrangers, jusqu’à ce que tout se libère. Telle la visite de Pierre chez le centurion à Césarée, et disant : ‘Vous savez, il est absolument interdit à un Juif de frayer avec un étranger ou d’entrer chez lui. Mais Dieu vient de me montrer, à moi, qu’il ne faut pas appeler aucun homme souillé ou impur…’ (Act 10,28).

    4. Du fait de l’évangélisation des païens, cette même exigence mosaïque de pureté va toucher les aliments, et en particulier les viandes. Ainsi, peu après cette scène de Pierre chez le Centurion, le décret de Jacques (le ‘pape’ de l’époque) : ‘Je juge, moi, qu’il ne faut pas tracasser ceux des païens qui se convertissent à Dieu. Qu’on leur mande seulement de s’abstenir de ce qui a été souillé par les idoles (la viande de boucheries issue des sacrifices) , des chairs étouffées et du sang’ (Act 15,20). En réalité, très bientôt à Corinthe, Paul va libéraliser plus encore ces compromissions de pureté alimentaire – retrouvant ainsi la sagesse de Jésus : ‘ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui le souille’ (Mat 15,11), mais ce qui vient du cœur.

    5. Enfin et surtout, le pilier de la religion biblique qu’est la circoncision. Là c’est Paul, l’Apôtre des Nations, des Grecs jusqu’à Rome – c’est lui qui a osé affranchir les nouveau ‘adeptes de la Voie chrétienne’ de cet impératif absolu (mais qui répugnait tant aux Grecs). (J’emprunte ici une remarque de Régis Burnet. Monde des Religions. Comprendre la Bible. Déc.2019 p.58) : C’est dans son épitre aux Galates, que Paul répond à une difficulté redoutable : sa communauté est située au cœur de la Turquie actuelle et n’a jamais connu le judaïsme. Elle s’est pourtant convertie au Christianisme. Si des étrangers au judaïsme ont pu adhérer au Christ, sans obéir à la Loi (avec des manifestations spirituelles ratifiant que Dieu agréait cette conversion), c’est donc que le respect des prescriptions légales n’est plus indispensable pour être sauvé. A ceux qui suivent le Christ, Dieu a choisi d’accorder gratuitement le don (en grec ‘la grâce’) de comparaitre devant lui. Sans passer par l’obéissance à la Loi. Et à ceux des Juifs-chrétiens d’Antioche qui vont lui reprocher cette mesure, Paul va répliquer avec sa fameuse théologie de la grâce qui libère de la Loi : ‘C’est à la liberté qui vous avez été appelés’ (Gal 5,13) – soit la base de sa prochaine épitre aux Romains : soit l’extension maximum de l’ouverture de l’évangile à l’universel.

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    Par cet avènement et le succès d’une nouvelle voie religieuse, l’Évangile, inspirée par le meilleur de la voie mosaïque, on serait porté à penser que cette Religion de la Loi aurait été menacée de s’éteindre, spécialement après la destruction du Temple en 70, suivie du sac total de Jérusalem en 135, avec une dispersion complète des Juifs de cette capitale. Mais bien plus qu’une vigueur végétale, en matière de foi religieuse, les forces d’inertie et de conservation sont plus grandes, et c’est en étant marginalisé de la Voie dominante que va devenir le Christianisme, c’est en étant persécuté, que le Judaïsme a gagné de ferveur et d’authenticité comme sauront l’illustrer des penseurs, tel Spinoza, et tout récemment Lévinas. Là où la conscience d’ethnicité a conforté le religieux.
    N.B. On sait de nos jours l’extrême ferveur entretenue par la piété juive au Mur des Lamentations, au pied de l’ancien Temple… dans l’espérance de pouvoir enfin chasser le mécréant, se réapproprier l’Esplanade, détruire sa Mosquée, rebâtir le Temple – tout cela dans la certitude qu’une fois les sacrifices rétablis, adviendront le Messie et la Fin du monde. Décidément, la finitude prochaine ne les lâche plus – là où je préfère penser l’imminence du désir - et plutôt que les Lamentations, j’aime la joie de Spinoza.

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    Si j’en suis venu à penser la fin et le dépassement de la Religion chrétienne, à la suite et par comparaison avec la ‘fin’ de la Religion de la Loi de Moïse, c’est depuis mon vécu, c’est depuis ma jeunesse dans ma ville d’Aix marquée d’anticléricalisme, et c’est, dès lors, d’avoir progressivement mesuré et réfléchi l’avènement d’une sécularité massive et profonde dans la France que j’habite, et, pour partie, dans notre Occident.
    Au plus probable, à mon sens, dans cette laïcité moderne en France, il s’est passé un abandon pour beaucoup irréversible, sans retour aux formes (estimées) niaises des croyances d’antan, même si elles font fortune dans les divers modes de sectes et de mouvements charismatiques. Il s’est passé (du moins en France) une table-rase dont je dirais qu’il importe d’en mesurer les virtualités, les espérances – les potentialités d’humanité. Ne serait-ce que par la maturité de pensée et d’acquis de l’histoire qui caractérise notre société, notre ‘modernité’ : qu’il suffise de rappeler, en France, notre devise de ‘Liberté, égalité, fraternité’ issue de notre ‘Siècle des Lumières’ et de notre Révolution Française. (N.B. Peu avant, en 1776, aux États-Unis (selon Nicole Bacharan, dans le Hors Série ‘L’Empire américain’ 2019 p.63), dans ce nouveau monde s’affranchissant de la Couronne anglaise, Thomas Jefferson en écrit le résumé avec ces mots : ‘La vie, la liberté et la recherche du bonheur’, ce qui aboutit dans la Déclaration d’indépendance. Et treize ans plus tard, dans la France de 1789, ce fut la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : ‘La liberté, la propriété, la sureté et la résistance à l’oppression’ .)
    N’est-ce pas là, typiquement, une potentialité d’humanité de notre société moderne ? On peut déplorer les méfaits de l’individualisme, mais ne faut-il pas en souligner les bénéfices (inimaginables dans les dominantes communautaires d’autrefois) : l’individualisation, la libre disposition de nous-mêmes, la responsabilisation, et par là même l’intériorisation, le recueillement de chacun à son quant-à-soi, chacun disposant de lui-même à partir de son ‘petit feu’ de convictions personnelles, plutôt que de s’aligner sur des prêches et des mots d’ordre communs. (Ainsi les leçons du Marxisme et des 70 ans du Communisme auront au moins servi à cette prise de conscience du prix de la liberté).

    Si les civilisations sont mortelles, si les Religions ‘font leur temps’, elles sont d’un apport essentiel par toutes les expériences d’humanité qu’elles nous procurent, leurs leçons de sagesse. Le meilleur de la sécularité de notre société (avec son individualisation), tient à sa maturation des expériences du passé – celles des religions – à commencer par l’apprentissage de la tolérance, au vu des abus d’intolérances passées – l’apprentissage de l’altruisme, l’empathie, la miséricorde, la tendresse, l’amour, au vu du meilleur des siècles depuis Moïse et Jésus – l’apprentissage du prix inestimable de ‘la vie’, dans le durée de nos jours, sans qu’on sache ce qu’il en sera après notre mort, sinon le recueillement du souvenir de nos proches disparus, de leur pensée, et par là leur présence : car s’il est une éternité, une ‘résurrection’, ce n’est que dans le présent de notre vie qu’elle saurait avoir quelque réalité et consistance.

    Je résume. Notre sécularité en France découle de la liberté et l’individualisation de notre modernité : à la place de la foi commune d’hier, c’est désormais chacun sa responsabilité, son petit feu de convictions personnelles, tout emmêlé de préférences et prédilections, de vécus et traumatismes… et ainsi c’est chacun son propre relationnel d’affinités, de proches, aimés, parents et amis – son ‘réseau social’ personnel où se partagent ses convictions.
    A la place de l’adhésion et la dépendance au ‘fond commun’ d’hier, c’est une individualisation de la foi, c’est une personnalisation et unicité infinie – c’est le petit feu de convictions de chacun qui est devenu un domaine essentiel et sensible, chacun entretenant jalousement son quant-à-soi, sa libre disposition de lui-même, ses repères – et c’est donc là un ‘trésor’ de convictions (et de liberté de pensée) qu’on ne saurait remettre en cause par quelque prosélytisme ou évangélisation – même s’il appelle échanges, partages et débats, dans cette ouverture de l’individu, de la liberté de chacun. ‘C’est à la liberté qui vous avez été appelés’.

Jérémie , le tableau de Rembrandt à l’entrée de chez moi, bien en vue. Le vieux prophète est assis, se tenant la tête de la main gauche, dans une profonde méditation, tandis que brûle au loin Jérusalem : la Shoa de -587. Dans un magnifique clair-obscur, la lumière du tableau s’étend en diagonale depuis ce malheur aux pieds de Jérémie jusqu’à sa tête – sa présence de prière, son empathie, reliée à celle de son Dieu : ‘J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple…’ disait Yahvé à Moïse au Buisson.

(1) La prière, telle que Jésus en donne l’exemple dans ses retraits solitaires, est l’expression la plus personnelle d’un être dont les pensées, les affects, les émois, les lassitudes, les soucis…. lui viennent et reviennent en un recueillement aux profondeurs infinies de lui-même, au plus intime et unique de la présence de son dieu, avec les seuls mots qui lui parlent vraiment, par-delà les formules communes, les formules empruntées…. Au meilleur de la Bible, c’est l’intimité avec la Présence unique et dialoguante de Dieu.
    C’est ainsi que Jésus s’est retiré 40 jours au désert après son baptême par Jean (alors qu’il a entendu de son Dieu : ‘Celui-ci est mon fils bien-aimé’) ; c’est ainsi qu’il se retire régulièrement à la nuit ou à l’aube pour prier seul ; et c’est ainsi qu’un jour « prenant avec lui Pierre, Jacques et Jean (ses plus proches) il gravit la montagne pour y prier ; et pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea, et ses vêtements devinrent d’une blancheur fulgurante ; et voici que… Moïse et Elie s’entretenaient avec lui… » (Lc 9,28). Jusque-là donc aucune forme de prière de demande ; c’est seulement à la fin, dans son angoisse de la mort, qu’on le voit se rendre avec ses disciples au Mont des oliviers, et s’éloigner d’eux, seul donc, sans témoins, et prier de détresse. Et plus solitaire encore, ses mots de prière lorsqu’il va mourir en croix.
    Cela renvoie à la parole de Jésus invitant à prier discrètement (et non pas en démonstration publique comme le Pharisien dans la synagogue) : « Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là dans le secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6,6). (On note que cette prière discrète au secret de sa chambre, se passe en tous lieux, et sans s’orienter vers le Temple – ce que renforce l’invitation de Jésus à « adorer en esprit et vérité », dépassant toute localisation). (Cf 20 du mois de février 2020)
    J’ai longuement parlé de la prière sur mon site, dans mon 20 du mois de juin 2008, intitulé ‘L’impact des psaumes’. Habituellement, le plus souvent, on retient de la prière une forme de demande (‘je vous prie de…’) : soit donc le recours à Dieu pour telle cause, ou telle plainte. C’est en cela que Jésus disait : « Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux, car votre Père sait bien ce qu’il vous faut avant que vous lui demandiez » (Mat 6,7). Une prière qui peut être aussi action de grâce, louange, bénédiction, tel le ‘Magnificat’ de Marie.
    Au meilleur des mots, l’attitude de prière est un recueillement, une attention silencieuse, un vis-à-vis, une présence à présence, comme il en est d’un échange amoureux entre deux aimants. ‘Adorer’ (en latin : ad-os), signifie porter sa bouche, ses lèvres’ (entre chuchotement et baiser). Lorsqu’un Juif se rendait à Jérusalem au Temple, c’était pour‘adorer’ – Paul disant ainsi qu’il est ‘monté à Jérusalem pour adorer’ (Act. 24,11). Bref, une prière où s’opère une décantation de toutes sollicitations et sollicitudes, où il n’est plus qu’attention et aveu confiant.
    On peut alors comprendre la réponse de Jésus à la Samaritaine qui lui demandait où est-ce qu’il faut ‘adorer’, à son temple voisin ou à celui de Jérusalem (Jn 4,20) ? Ni à ce temple, ni à Jérusalem, car Dieu est esprit, et c’est en esprit et vérité qu’on doit l’adorer. C’est dire la perfection de la prière serait-ce dans le brouhaha du Temple, ou au secret de sa chambre. Telle j’imagine la présence et l’intériorité constante de Jeanne d’Arc, qui n’avait retenu de son enfance, des quelques bribes apprises de sa mère - Jeanne qu’on n’imagine pas les ‘rabâcher’, mais se tenir toute attentive de la présence de Jésus, son Seigneur, dans le silence de son amour : en adoration. Seule à seul avec lui.