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Il convient que j’explique un peu et clarifie cette exigence d’amour venue
en titre et en conclusion de mon dernier ’20 du mois’ (dénonçant le
dolorisme et les sacrifices) car il en va de ma vie, avec le sens profond
de ma sculpture : l’amour, notre seul partage, par-delà le religieux.
Bien des gens aujourd’hui se lamentent de l’abandon de la foi et la
pratique religieuse (chrétienne) - soit la sécularisation caractéristique
de nos sociétés occidentales actuelles ; je suis porté à penser, au
contraire, que c’est sans doute là une chance à saisir. Si bien qu’au lieu
de m’efforcer à parler en termes de foi à rétablir, il m’importe d’échanger
de façon plus vraie avec le monde d’aujourd’hui dans son délaissement de la
foi – donc un échange laïc, séculier, d’humanité. Autrement dit, il
m’importe de chercher et inventer une certaine qualité de relations
humaines avec ceux et celles qui me sont donnés aujourd’hui dans leur
abandon de la foi : il m’importe de
chercher et échanger avec eux, la justesse des mots ayant profondeur de
sens, et qui nous portent loin à penser, espérer et rêver la vie
.
(Tel l’aveu de Saint-Exupéry : ‘Nous avons connu, aux heures de
miracle, une certaine qualité de relations humaines, là est pour nous la vérité’).
Il se trouve qu’au 20ème siècle, nous avons connu un autre
changement du même type qui nous permet de comprendre ce qui se passe avec
l’abandon de la foi et la pratique religieuses. Beaucoup d’entre nous, il y
a 50-70 ans, ont connu des relations en milieu communiste, où le parler
‘politiquement correct’ était étroitement borné dans la ‘langue de bois’ de
ce milieu (les ‘Lendemains qui chantent’, l’Internationale…), tel
un troupeau de moutons obligés de passer dans une même voie étroite ; et
puis tout cela fut abandonné, si ce n’est les grands défilés impeccables de
tous ces hommes et femmes dans le même uniforme. Or n’est-ce pas ce qui
s’est passé avec la foi et la pratique religieuse d’hier et d’autrefois ?
N’étaient-ce pas une voie commune et une tenue obligée, un même parler des
choses de la foi, un ensemble commun de rites et pratiques ? Pour constater
cela, il suffit d’assister à une messe de dimanche – tous en chœur : ‘élevons notre cœur – nous le tournons vers le Seigneur’.
D’où la question : est-ce vraiment ce parler commun chrétien qu’il faudrait
rétablir pour restaurer la foi commune d’hier ? Non, à mon sens, ce sont
d’autres échanges et apprentissages qu’il nous revient de chercher et
d’oser. Et c’est là que je vois la grande chance de cet abandon, de cette
déconvenue, de cette désertion, et par là cette ‘table rase’ : les gens
d’aujourd’hui, dans leur sécularité (et le vide de leurs églises), sont
sans doute ‘désemparés’ dans leur solitude ; mais ils sont renvoyés à
eux-mêmes, à leur responsabilité, à leur liberté, à cet impératif de
trouver les mots qui leurs parlent personnellement, et d’adopter les
dispositions à vivre qui leurs donnent du sens. A chacun son ‘petit feu’ de
mots et repères, à chacun son ‘système D’ de ses convictions intimes. ‘Trouver seul sa morale et sa vérité’ avouait Camus (Le premier
homme).
Car n’est-ce pas là justement ce à quoi nous entraine notre modernité de
société ? L’individualisme, la liberté, l’indépendance de pensée… là où,
heureusement, se découvre une diversité infinie des hommes, des
femmes, des enfants… chacun amené à répondre personnellement de ses
convictions, ses affects, ses vécus, ses sentiments – c’est-à-dire leur
foi, leur univers intérieur, leur ‘moi’ personnel, leur colloque intime
avec leur Dieu. Fini le parler-uniforme communiste, fini le parler-commun
et les pratiques communautaires de la foi religieuse, qu’elle soit
chrétienne, israélite, musulmane….
Grâce à cette sécularisation actuelle, massive et profonde, loin du
troupeau moutonnier d’autrefois, chacun de nous est renvoyé à lui-même,
chacun est invité à être lui-même dans ses convictions profondes, dans ses
espérances, ses aspirations et attentes, ses désirs et ses souhaits, ses
affinités propres – chacun est à même d’être personnalisé comme jamais.
Chacun est amené à se situer et répondre dans le jeu relationnel qui le
fait vivre, sa ‘famille’, le réseau des siens, son seul partage, là où
évidemment c’est d’amour qu’il s’agit, c’est d’entente harmonieuse
avec ses parents et ses proches, ses ‘attaches, ses relations. L’amour,
notre seul partage.
Car chaque ‘je’ n’est lui-même que dans sa correspondance à un ‘tu’. Et ce
relationnel de base trouve sa forme la plus accomplie dans l’amour sexuel :
dans l’humain ‘créé homme et femme’. Il s’amorce dès la petite
enfance dans la dilection ressentie par le nouveau-né en présence du visage
de sa mère, de son père. Puis il se diversifie dans ses autres relations
d’affection, il s’approfondit dans ses amitiés, il s’enrichit dans ses
relations d’élève à maître, de collaboration, de voisinage, de prière à son
dieu – comme autant d’amours en partage, jusqu’à la forme la plus complexe
et profonde qu’est l’amour sexuel. Et somme toute, n’est-ce pas là le
meilleur et le vrai du ‘relationnel’ que le ‘religieux’
s’efforce d’entretenir, à force de ‘rassemblements’ (‘église’) et
de ‘communautés’ ? On aurait oublié le relationnel qui personnalise
vraiment : le ‘je’ et ‘tu’ à la base de toute personne, de toute liberté –
chacun étant ainsi entrainé à être lui-même, reconnu et exprimé dans sa
singularité propre, sa personne – sa relation à son Dieu.
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Typique en ce sens : l’échange de Jésus avec la femme samaritaine venue
puiser de l’eau à son puits. Il ose l’engager ainsi : ‘donne-moi à boire’ (le ‘je’ et ‘tu’ de base – la demande
imparable dans cette culture de l’hospitalité). Puis l’échange avance dans
des considérations domestiques qui importe à une femme : l’eau à aller
puiser, ‘l’eau vive’ plutôt que l’eau d’un puits ; jusqu’à ce que Jésus la
renvoie à elle-même en lui disant : ‘vas chercher ton mari’ ; elle
se défausse parce qu’elle a eu cinq maris (façon de dire les infidélités
des Samaritains avec le Dieu d’Israël) ; et voilà qu’elle interroge ce
Prophète en lui demandant où est-ce qu’il faut adorer Dieu : au Temple
samaritain sur la montagne voisine, ou au Temple de Jérusalem. Et Jésus de
répondre :
« Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne, ni
à Jérusalem que vous adorerez le Père… L’heure vient - et nous y sommes
- où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité, car ce
sont là les adorateurs tels que les veut le Père. Dieu est esprit, et
ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qui qu’ils doivent
l’adorer » (Jean 4,21s)
Cela renvoie à l’autre parole de Jésus invitant à prier discrètement, (et
non pas en démonstration publique comme le Pharisien dans la synagogue) :
« Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi
la porte, et prie ton Père qui est là dans le secret, et ton Père, qui
voit dans le secret, te le rendra »
(Mt 6,6). Et suit aussitôt la prière que Jésus apprend aux siens, le ‘Notre Père’ – une prière qui peut aussi bien être pratiquée seul
ou qu’en communauté.
Quant à la façon habituelle dont Jésus prie, c’est clairement de se retirer seul, la nuit, ou très tôt le matin, dans la campagne
(comme ses 40 jours au désert). Seul. On ne le voit jamais prier au Temple,
et encore moins offrir des sacrifices, tandis que ses disciples, dès qu’il
les a quittés, se sont mis à fréquenter ‘assidument le Temple’
(Act 2,46) – et plus encore (en Act 3,1), ils y viennent ‘à la 9ème heure’ – c’est-à-dire à l’heure du sacrifice
du soir.
Comment se fait-il alors que l’Église ait tant insisté à rassembler ses
fidèles dans des salles ad hoc pour la prière, des ‘églises’, ne faisant
ainsi que poursuivre les rassemblements du Temple et des ‘synagogues’ ( sunagein en grec : conduire ensemble, rassembler) –
l’Église, de ce fait, a rendu nulles les deux paroles de Jésus sur le
nouveau régime de la prière (son individualisation solitaire et ’en esprit et vérité’, sans Temple) – et cela jusqu’aux
rites de base de ces assemblées chrétiennes, les Eucharisties, les messes,
qui sont des repas de communion de sacrifice symbolique, avec le Corps et
le Sang du Christ, alors même que Jésus avait dit et redit :
« Si vous aviez compris le sens de cette parole (de Dieu par son
prophète Osée) :
‘C’est l’amour que je demande et non les sacrifices
»
(Osée 6,6 et Mat.9,13, répété en Mat 12,7)
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L’amour, tel qu’il est employé dans cette citation par le prophète Osée
(1), est au sens d’un amour conjugal passionné, telle
qu’était imaginée et vécue par l’Israélite d’il y a 2800 ans, l’Alliance de
Dieu avec son peuple. Cela devient le message vivant de ce prophète,
disant, dans sa vie même, la fidélité de Dieu envers son peuple infidèle
(adorant les Baals) ; voilà pourquoi Osée fut sommé par Dieu de prendre
pour épouse une prostituée, de la laisser s’éloigner, et de la reprendre
(ce qui va se rééditer avec Jésus et la prostituée venue le caresser).
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« Paroles de Yahvé : ‘Je lui ferai expier ses jours des Baals… Je vais
fermer son chemin avec des épines, j’obstruerai sa route… Elle
poursuivra ses amants et ne les atteindra pas… Alors elle dira : ‘Je
veux revenir à mon premier mari, car j’étais plus heureuse autrefois
qu’aujourd’hui.’ C’est pourquoi je vais la séduire, la conduire au
désert et parler à son cœur. Là elle répondra comme au jour de sa
jeunesse, comme au temps où elle monta du pays d’Égypte. En ce jour-là
– oracle de Yahvé – elle m’appellera ‘mon mari’… Je te fiancerai à moi
pour toujours, je te fiancerai dans la justice et dans le droit, dans
la tendresse et dans l’amour, je te fiancerai à moi dans la fidélité et
du connaitras Yahvé » (Os 2,15-23).
« C’est l’amour (hesed) que je demande, et non les sacrifices, la connaissance de Dieu et non les holocaustes »
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N.B. La ‘connaissance’ dans l’hébreu de la
Bible est l’expérience (concrète) par laquelle on entre en contact le plus
étroit avec un être ou une chose ; elle ne fait pas appel, comme chez les
Grecs, à l’intelligence, mais à l’engagement de toute la personne. C’est
ainsi qu‘Adam connut Eve, sa femme’ (Gn 4,1)
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Autre parole de Yahvé, selon Isaïe : « Ne crains pas, tu ne seras pas
confondue… Car tu oublieras la honte de ta jeunesse… Car ton époux, ce
sera ton Créateur dont le nom est Yahvé Sabaot… Oui, comme une femme
délaissée, dont l’âme est désolée, Yahvé te rappelle. Répudie-t-on la
femme de sa jeunesse, dit ton Dieu. Un court instant, je t’avais
délaissée, mais ému d’une immense pitié, je te rassemblerai… D’un amour
éternel j’ai pitié de toi… Car les montagnes peuvent s’en aller, mais
mon amour pour toi ne s’en ira pas, mon alliance de paix avec toi ne sera pas ébranlée
» (Is 54,4-10).
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N.B. L’alliance faite par Dieu avec
Abraham, avec son peuple Israël, est irrévocable, éternelle, car la
fidélité de Dieu ne peut dépendre des infidélités des hommes. C’est ainsi
qu’est vécue, au long de la Bible, le Commandement d’aimer.
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Parole de Yahvé adressée à Jérémie :
« Je me rappelle l’affection de ta jeunesse, l’amour de tes fiançailles
: tu me suivais au désert… Écoutez, maison d’Israël, ainsi parle Yahvé
: en quoi vos pères m’ont-ils trouvé déloyal pour s’être éloigné de moi
? A la poursuite de la Vanité, ils sont devenus vanité… Ainsi parle
Yahvé : Israël marche vers son repos… D’un amour éternel je t’ai aimée,
aussi t’ai-je conservé ma faveur. De nouveau je te bâtirai, vierge
d’Israël, de nouveau tu te feras belle avec tes tambourins, tu sortiras
en dansant joyeusement… » (Jer.2,3s, et 31,1-3)
« Voici des jours, oracle de Yahvé, où je conclurai avec la maison
d’Israël une alliance nouvelle. Non pas avec l’alliance que j’ai
conclue avec leurs pères, le jour où je les pris par la main pour les
faire sortir du pays d’Égypte. Cette alliance, mon alliance, c’est eux
qui l’ont rompue. Alors je vais leur faire sentir ma maîtrise : voici
l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël… : je mettrai ma
Loi au fond de leur être, je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai
leur Dieu et eux seront mon peuple… Ils me connaitront tous… parce que
je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché »
(Jer 31,31).
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Avec ces quelques citations bibliques, au long de cette Alliance
tumultueuse entre Dieu et son peuple, on note bien que l’amour selon Osée (celui-là même que dira et redira Jésus comme ce
qu’il demande), a été un ‘amour conjugal passionné’, alors
que (selon le Dictionnaire du Nouveau Testament de X.Léon Dufour) il
ressort que l’érôs (opposé à l’agapé) est déprécié comme un ‘amour passionnel’, et de ce fait, il n’apparait jamais
dans le Nouveau Testament, à l’avantage de l’Agapé, la Philia, la Charité,
la Miséricorde, l’amour du prochain, l’altruisme, la générosité, le
dévouement, l’amour fraternel…
‘Amour passionné’, ‘passionnel’
, incarné, amour charnel, spirituel… ? On n’échappe pas aux ambivalences du
concret de l’hébreu de la Bible (à l’éloquence concrète d’un sculpteur) ;
on n’échappe pas à ces résonances et enfouissements de sens qui donnent
sérieusement à réfléchir.
Le plus grand Commandement de la Loi retenu par Jésus, cite le fameux
passage du décalogue de Moïse (Deut.6,5) : il se fonde ainsi dans la
mémoire de la grande Geste de Dieu sauvant son peuple de la Servitude
d’Égypte
(‘J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui réside en Égypte ; je
suis résolu à le délivrer de la main des Égyptiens…’
op.cit.en tête du 20 du mois précédent)
– ce grand amour de Dieu pour les siens, dans lequel s’inscrit le leur :
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« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et
de tout ton esprit : voilà le plus grand et le premier commandement. Le
second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même »
(Mat. 22,36)
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Cette ‘école de l’amour’ que sont les siècles de l’histoire
biblique : le Premier Testament - la Première Alliance entre Dieu et son
peuple, poursuivie et ‘accomplie’ avec la venue de Jésus de Nazareth, et
par lui le Nouveau Testament, les paroles et gestes de Jésus, ceux de Paul
(dont son ‘hymne à l’amour’ – 1Cor13), ceux de Jean (pour qui ‘Dieu est amour’ I Jn 3), suivis des paroles et gestes exemplaires
de nombres de ‘saints’, de François d’Assise, de Thérèse d’Avila, de Luther
King, etc.
Depuis plus de 3000 ans, grâce à cette longue histoire c’est un
apprentissage et un vécu de l’amour, c’est une ‘école de l’amour’
qui s’est approfondie dans l’Alliance tumultueuse et passionnée avec Dieu
(id. avec la représentation que ces hommes et femmes ont entretenue et
approfondie et intériorisée de l’exigence d’amour de leur Dieu) – c’est
toute cette profondeur dont on oublierait aujourd’hui la Présence de Dieu,
à cause de la sécularité qui nous imprègne – et pourtant cette Présence
n’en n’est pas moins là - ce ‘Règne de Dieu’ dont Jésus disait
qu’il n’y a‘pas à le chercher ici ou là, car il est au fond de vous’ (Luc 17,21). L’exigence d’amour du fond de nous ? Là où seul
importe une qualité de présence, une ‘qualité de relations humaines’ qui
est notre seule vérité, notre seul partage.
(1) Osée (en hébreu Hoshéa : ‘Dieu sauve’). Prophète originaire du
royaume du Nord, au 8ème sc av.JC. Influencé, semble-t-il par
ses propres déboires conjugaux, il est le premier à avoir compris que Dieu
aime son peuple d’un véritable amour, qu’il est prêt à lui pardonner ses
trahisons et ses infidélités : comme un amant trompé qui accepterait de
reprendre une femme adultère ou prostituée, de reconnaître ses enfants
bâtards, le Dieu d’Israël est un Dieu de tendresse et de fidélité.
(Dict.culturel de la Bible. Nathan 1990).
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