20 mars 2018 : l'usure-sculpture de mes jours

20 avril 2018 : le souvenir de nos proches disparus
20 mai 2018 : l'art se rencontre
20 juin 2018 : pour une mémoire heureuse
20 juillet 2018 : chair, incarnation, corporéité
20 août 2018 : des femmes nues de Modigliani aux miennes
20 septembre 2018 : la pratique du nu féminin dans ma sculpture
20 octobre 2018 : lyrisme
20 novembre : sculpter : correspondre à la réalité




 

 

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chaton de coudrier
marbre 1980 h.19cm

    Lyrisme : manière passionnée, emphatique de sentir, de vivre - pleine d’un enthousiasme, d’une exaltation de poète….Registre artistique qui privilégie l’expression poétique et exaltée des sentiments personnels et des passions… (Dict.Robert).

    « As-tu entendu le sculpteur te dire : « De cette pierre je dégagerai la beauté » ? Ceux-là se dupent de lyrisme creux qui sont sculpteurs de pacotille. L’autre, le véritable, tu l’entendras te dire : « Je cherche à tirer de la pierre quelque chose qui ressemble à ce qui pèse en moi. Je ne sais point le délivrer autrement qu’en taillant. » (Saint-Exupéry)

    « Il y a une magie créatrice chez Eluard, toute personnelle, une réussite rarement atteinte avant lui, qu’un agencement inaccoutumé des vocables de chaque jour et qu’une façon originale de repenser les images les plus communes déterminent… Le poète qui, intentionnellement, se refuse à parer son langage d’expressions insolites, qui utilise, sans jamais contrevenir à son option, le vocabulaire le plus simple et cependant, au fil des années se renouvelant, renouvelle le lyrisme, peut-être a de quoi surprendre» (L.Scheler)

    En allumant la radio on reconnait immédiatement une pub. dans le faux de la voix, et de même à la télé, avec les voix et images enjôleuses, trop belles pour y croire… et de même sur Internet, dans la presse, dans les milliers d’annonces et d’affiches qui encombrent notre environnement… - l’invasif moderne de lyrismes, de faussetés, d’impostures. Tels encore les meetings politiques avec ‘La Marseillaise’ ou ‘l’Internationale’ … Tels surtout, depuis des millénaires, les rassemblements de prière....

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    Mon père était un modèle de parler sobre et juste, ne se laissant aller à aucune emphase, aucun lyrisme, aucun artifice. Que suis-je devenu après lui, depuis ma jeunesse jusqu’à ma sculpture advenue à maturité ?

    Les années 1968-70, à ma trentaine, furent une sortie de ma jeunesse, alors que j’étais vivement en quête d’un parler vrai, simple et direct. Soucieux de parler juste des choses profondes et décisives de la vie, je devais quitter une longue habitude d’enfance, de jeunesse que je jugeais ‘lyrique’, pour en venir, autant que possible, à exprimer ces mêmes choses sensibles et profondes avec des mots d’humanité ordinaires, des mots simples et vrais à partager avec le commun de mon monde. J’humanisais ainsi mon parler, je le sécularisais, en quête de mots justes, hors des emphases esthétiques et des artifices religieux. Ainsi de ma formation chrétienne, j’en venais à éviter d’employer ce que j’appelais les ‘gros mots’, ces mots que des croyants estiment plus pertinents parce qu’ils sont ‘à part’, réservés au sacré : ces mots qui, par là-même, les dispensent à bon compte de vraiment chercher à savoir ce qu’ils signifient – puisqu’ainsi il leur est facile de ‘se payer de mots’, de dire Dieu, Ciel, Résurrection, Espérance, âme… sans trop s’enquérir de ce qu’il en retourne. Ce faisant je ne quittais pas le débat, je ne voulais rien ôter de la profondeur de ce dont nous échangions ; mais en taisant le ‘parler religieux’, je cherchais à désigner autrement les choses profondément humaines, j’en différais la portée - comme le tireur réajuste la mire de son arme pour viser plus juste sa cible.

    Survint alors, en 1973, ma chance d’entrer dans la recherche à l’Ecole des Hautes Etudes (Recherche urbaine, puis Art et langage) : soit une discipline intellectuelle m’obligeant à poursuivre plus rigoureusement la même exigence d’une pertinence des mots, de leur exactitude, de leur convenance, de leur bien-fondé, de leur à propos – soit donc le réalisme d’un langage humain, humanisé, parce que ‘sécularisé’ (du ‘siècle’, du monde commun).

    Plus encore, bien plus encore, ce fut, à partir de 1980, ma grande chance de m’adonner à la sculpture, où au langage des mots venait se joindre celui du marbre, de la pierre, du bronze… avec la même quête d’une expression vraie, personnelle, authentique. J’avançais ainsi ma création propre, tout en me défiant du pseudo que je soupçonnais dans les arts contemporains : je dénonçais leur fausses emphases aussi invasives que les lyrismes religieux d’antan – comme si, inconsciemment, en les supplantant, elles en avait gardé le plis – le pire.

N.B. Sauf exceptions, les ‘Avant-gardes’ de l’art moderne, selon la laïcité d’époque en France, se tenaient à l’écart du religieux, et, par là, loin d’une sensibilité au sacré, à la transcendance. De plus, dans le même ordre de désinvolture, les ‘avant-gardes’ renièrent la beauté, portant atteinte, cette fois, à l’identité même de l’art, lequel, dans toutes les civilisations, est l’ensemble des techniques que l’homme utilise pour embellir son environnement. Dédain du sacré et irrespect de la beauté, on s’interroge sur ce qui pouvait découler de ces deux ‘partis-pris’ dans la modernité de l’art. Comme un étrange ciel de traine, que pouvaient signifier alors leurs regains de lyrisme ? Je renvoie à la page 22 de mon site – page très sensible écrite il y a 30 ans, et je renvoie au prochain ‘20 du mois’ qui reprendra la question: ‘Sculpter : correspondre à la réalité’.

    Car on me dira que ce qu’exprime ma sculpture aurait dû s’apparenter à la poésie, et par là s’adonner à quelque lyrisme. Précisément, non. En étant très attentif aux meilleures formes d’art de tous les temps, j’aime dire de ma sculpture son ‘parler vrai’, son intériorité, son ouverture au mystère et ce qui nous échappe. Tel l’attrait et le désir qu’exerce sur moi une femme dans sa beauté, sans relever pour autant du lyrisme, mais de sa seule présence, de son altérité hors de mon atteinte. Autant de visages humains qui n’ont nul besoin de se grimer de lyrisme pour nous émouvoir et nous toucher au cœur.

*

    J’ajoute une autre façon de m’interroger sur le lyrisme qui m’est venue après des lectures sur Nicolas de Staël et les milieux artistiques de son époque (donc de ma jeunesse). Sachant que les lyrismes et les esthétiques se coulent dans les époques et leurs modes, je n’échappe pas à la double question : dans quelle époque de lyrisme ai-je grandi ? De quels référents esthétiques fut empreinte ma sculpture ? A mon insu et malgré moi, dans ma jeunesse et à cause de mon milieu à Aix-en-Provence, j’ai été formé et sensibilisé aux lyrismes et esthétiques d’époque qu’entrainaient alors la poésie, la chanson, la peinture, la sculpture, la littérature, et sous-jacente, la philosophie. Soit autant de valeurs que j’ai mûries et approfondies plus tard, dans ma maturité, et dans lesquelles j’ai fait le tri. Mais serait-ce donc dire que ces formes esthétiques et lyriques de jeunesse m’ont, pour partie, poursuivi dans ma sculpture ?
    Oui, je dois bien reconnaître que ma défiance du lyrisme a été, avec ma quête du parler vrai parmi les emphases et faussetés, une prise de distance d’avec mes valeurs de jeunesse, afin de mieux m’accorder aux dimensions esthétiques de ma maturité. Ma sculpture.