Voici un nouveau-né. Petit de chêne ou de roseau. Petit d’animal. Petit d’homme. Est-il promis à la vie ? Ou promis à la mort ? Voyez le regard énamouré de la mère, toute rêveuse du bonheur de cette vie venue de sa chair, toute émue de cette promesse de vie. Certes l’inquiétude n’est pas loin : il est si fragile et vulnérable ! Un rien peut l’emporter. Mais si forte et tenace lui semble cette enfance qu’elle a conçue, qu’elle a attendue et portée, et qu’elle va protéger et accompagner longtemps encore. Son enfant. Tout en mouvance de ses soins et caresses, de sa tendresse.
Promis à la vie ou promis à la mort ? Certes la vie l’emporte en ces instants de petite enfance. En d’autres moments d’épreuve vont planer et s’imposer les menaces de mort, la dominante de mort, la dureté.
Question de croyances, de propensions, de prédispositions. Longtemps les peintures de la Nativité ont mis une symbolique de Croix auprès du petit enfant Jésus : promis à une mort cruelle. Toute une Religion de la Croix était ainsi inculquée : « gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes ». La promesse de vie n’ayant de sens que pour après la mort : dolorisme absurde. (N.B. L’Islam ayant aussi ses duretés, à sa façon).
D’autres, sous l’épreuve de quelques détresses, telle la misère d’enfance de Camus, insistent, à leur façon, sur la mort, l’absurde. Soit la version séculière d’une Civilisation occidentale issue de la Religion de la Croix.
Question d’âge aussi, question de milieu. Autre une société de vieux, familière du sécuritaire, des condoléances et des enterrements, et par là accoutumée à la finitude et au sombre ; autre une société où prévalent la jeunesse et l’enfance, où l’avenir est ouvert.
Question de misère ou d’aisance (le partage actuel de notre mondialisation). Autre une société à l’aise et confortable, encline à dissuader la mort et prolongeant l’espérance de vie ; autre une société frappée par l’épreuve et la misère, avec la mortalité infantile, celle de la guerre…, la mort, ‘la mort toujours recommencée’.
Promis à la vie, ou promis à la mort ? Il en va aussi de la dominante de dilection et tendresse dont la vie humaine va être entourée, ou de la dominante d’exigence et dureté. Partage décisif : vivre, c’est souffrir ; ou vivre, c’est savoir s’accorder aux touches de plaisirs et bonheurs de vivre. Vivre, c’est la vertu, c’est l’effort et le mérite visant la réussite, ou escomptant le Paradis (ou des ‘Lendemains qui chantent’) ; ou vivre, c’est la grâce, c’est la gratitude confiante d’accueillir le don de la vie et de savoir y correspondre.
Car regardons l’ensemble de la création, à la façon de François d’Assise. Regardons l’humanité depuis des milliers, des centaines de milliers d’années, avec ses époques sombres de calamités, et ses époques de reprises de vie, de renaissances. Si dans ce cours de l’humanité, les forces de mort avaient été dominantes, comme le pense le philosophe de l’absurde, ce phylum humain dans l’univers, cette lignée d’espèces se serait inéluctablement éteinte. Or elle est toujours là, vaille que vaille, serait-ce même avec nos inquiétudes d’avenir. Si elle est toujours là, malgré épreuves et détresses, malgré les dégâts de nos jours, n’est-ce pas parce que, génération après génération, des prodiges de mains tendres et de regards aimants et de paroles décisives ont su user de patience et ténacité, de persévérance et opiniâtreté, d’obstination pour que la vie se poursuive et qu’elle reprenne quand même. Le geste amoureux de deux amants. Le geste aimant d’un père, d’une mère sur son enfant. Le geste d’un enfant sur ses parents.
Ce matin, sur le large plan d’eau de la Loire en amont du pont de Beaugency, le vol léger des sternes, leurs à-coups d’ailes, leurs plongeons… un climat de calme confiance : des promesses de vie, plus fortes que celles de mort.
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