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flammes d’ailes
marbre 2004 h.42cm
revers et face d'un envol d’oiseaux
en Baie de Somme

   Flux puis reflux : longtemps ma sculpture fut de projets, en ce moment elle est de rangement, d’engrangement. Aux commencements je disais : « There is a tide in the affairs of men which taken at the flood leads on to fortune… » ; aujourd’hui, en achevant l’aménagement de mon nouvel espace de sculpture à Beaugency et en préparant le déménagement de l’atelier de Paris, ne serait-ce pas une forme de reflux qui m’est donnée, tout aussi favorable que le flux pour autant que je sache bien la vivre ?

   Projeter, c’est jeter devant, dehors : le geste du semeur dont le Psaume dit : « On s’en va, on s’en va en pleurant, on porte la semence. On s’en vient, on s’en vient en chantant, on rapporte les gerbes ». Non, je dirais que c’est par plaisir et en m’ouvrant que je garde souvenir de mes sculptures lors de leur création, lorsque je m’y jetais et m’y prodiguais ; tandis que je me sens plutôt à la peine, lorsqu’il me faut aujourd’hui, ramasser tout ça et le réunir correctement. Il n’y a plus l’allant et la légèreté du geste, mais une pesanteur d’alluvions – laquelle est ressentie avec la fatigue de l’âge et la proche fin de ma vie. Tel le berger qui, le soir, rentre son troupeau à sa bergerie, et dont on dit, en haute Provence, qu’il se ramasse.

   Au cours de l’été dernier, en acquérant ce nouveau local et dans les premières semaines du grand chantier, j’étais vraiment en projet. Ensuite, à l’automne, est venu le lourd déménagement de la maison (logement, bibliothèque, sculpture). Aujourd’hui, l’hivers étant passé, il me faut poursuivre et mener à bonne fin cet ensemble, et préparer le déménagement et l’emménagement des quelques 300 sculptures de l’atelier de Paris ; je ne parlerais plus de projet : il y a une fatigue et une heureuse peine de devoir seulement achever ; il y a déjà le sentiment que tout ça est fait, tout ça est du passé, tandis que ma vie est à poursuivre, au jour le jour. (Savourant, avec le printemps, le retour de nouvelles créations – nouvelles terres).
   D’automne en hivers, avec cet engrangement de ma sculpture, je dirais volontiers qu’il est associé à une mort, à une inhumation. « Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean 12,24). Effectivement, plus j’avance, plus je sens venir, pour cette œuvre de ma vie, un passage de mort-sommeil ; autrement dit, plus l’accomplissement et la reconnaissance de ma sculpture me semblent différés – serait-ce d’abord par l’acquisition en propriété de cette grange où s’y rangeront toutes mes sculptures, lesquelles, dès lors, pourront attendre leur temps, durant mes jours ou par delà, sans qu’il n’en coûte rien, sans qu’il faille les brader et les vendre pour payer l’espace locatif de leur stockage. Je libère ainsi, par avance, l’accomplissement du temps de ma sculpture, je la pérennise, je m’accorde aux inconnues de sa temporalité - sans soucis des ‘reconnaissances’ et des ‘profits’ immédiats qui sont l’aune des succès d’aujourd’hui, et envers lesquels j’ai le plus grand mépris, la plus grande méfiance.

   Je résume : dans ‘grange’ il y a ‘grains’ (comme dans ‘grenier’) : la part de grains qui se rangent pour être consommés, et la part de semences pour être redonnées à la terre et renaître. Ma grange, la grange de la fin de mes jours : ces trois murs au cœur de Beaugency, rue de l’Oursine, ce grand volume de plain-pied et de belle hauteur, ce poutrage magnifique et l’aménagement que j’en ai tiré. C’est comme ‘grange’ qu’elle me fut proposée et vendue : ‘garage-grange’ disaient l’Agence et Internet.
   ‘Grange’, c’est comme cela que j’aime l’appeler, plutôt qu’atelier : puisque d’emblée, dans son architecture, c’est une belle et singulière présentation d’ensemble de ma sculpture (et ma bibliothèque) qui fut pensée et projetée, sans viser pour autant la tenue d’une galerie, mais visant la qualité du brut d’un espace de sculpture (et lecture), avec seulement quelques mètres-carrés d’atelier – et cela par différence avec mon atelier de Paris qui a été longtemps atelier, avant de se ranger en espace d’exposition. C’est dire qu’il m’est donné aujourd’hui l’heureuse complémentarité d’un double espace sculpture + bibliothèque (Brancusi + Montaigne), avec mon logement en voisinage. Et cela par différence avec la séparation précédente entre sculpture et bibliothèque.
   ‘Grange’, cet espace de ma sculpture qui n’a de sens que sur la fin de mes jours et pour l’au-delà de mes jours. Une démarche qui m’était impensable il y a 30 ans. Aurais-je même assez de force pour la mener jusqu’au bout ? Me viennent alors les mots de Colette « J’aime acquérir et engranger ce qui promet de durer au-delà de mon terme ». Et voilà que je constate dans ma vie, que se calme la presse du temps, le tracas de tout ce qu’il y a à faire, la hâte de créer du nouveau, la préoccupation de voir aboutir mes projets et démarches... Voilà que mon pas avance, plus tranquille et serein, accordé à mon âge.
   ‘Grange’ : c’est effectivement un engrangement qui va se réaliser dans cet espace – mes sculptures comme graines et semences confiées là, en attente et promesse de demain, en pérennité. Autant hier, elles vinrent de beaux gestes d’aventure, autant dans cet engrangement, je ferai en sorte qu’elles en ouvrent encore les horizons et en annoncent les lendemains, par delà leur sommeil, jusqu’à ce qu’advienne leur grâce d’être données, de venir au monde. La grande œuvre de Chauvet n’a-t-elle pas connue une nuit de 36.000 ans, et celle de Vermeer deux siècles, et celle de Bach 80 ans, et le Requiem de Mozart ne venant au monde qu’en 1954 ?

   « Alors ils prennent des provisions d’étendue et rapportent chez eux la béatitude qu’ils y ont trouvée. Et la maison est changée de ce qu’il existe quelque part la plaine au lever du jour et la mer. Car tout s’ouvre sur plus vaste que soi. Tout devient chemin, route et fenêtre sur autre chose que soi-même. (Citadelle Saint-Exupéry XIX).


Rappel d’invitation :

les 6 et 7 juin de 11h à 19h, la dernière présentation de mon atelier à Paris 14e, au 2 rue d’Arcueil ; et les 19 et 20 septembre de 10h à 20h, l’ouverture de mon nouvel espace de sculpture à Beaugency, 12b rue de l’oursine.