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Il y a 40 ans, en août 1977
mes 3 premiers marbres :
Caille des blés, 23cm
Gravide, 35cm
La Voile, 46cm


78 ans de vie, 40 ans de sculpture, 5 ans de veuvage

passent les ans et repassent à mon attention ces trois années sensibles et tant d’autres moments de mon passé - passe et repasse ce long vécu qui fait la richesse et consistance de ma présence aujourd’hui – de ma présence à jamais – gratitude confiante : tant de visages et rencontres, tant de ‘chauds au cœur’, puisqu’à mon sens : ‘le réel c’est l’amour, c’est ce qui nous fait vivre’.

78 ans
***

    En avançant dans l’âge et devinant proche ma fin, quel n’est pas mon étonnement de constater combien mon enfance m’est de plus en plus vive et présente – précieuse, cette enfance où mes souvenirs s’attachent à en chérir les visages et en raviver l’aménité des jours, tandis que s’en dissipent et amortissent les duretés... Un ami de Saint-Exupéry disait de lui : « Si sa personnalité était si exceptionnelle, c’est qu’il n’y avait jamais eu de rupture entre l’enfance, dont il avait gardé toute la fraîcheur, tout le sens du merveilleux, et la maturité de l’âge adulte » (le ‘Petit Prince’ dont je parlerais prochainement). A vrai dire, je ne sais pas trop moi-même ce qui m’a marqué de mon enfance et qui perdure ; je dirais volontiers la candeur et la confiance d’être aimé, mais l’intelligence interrogative et critique, alors même que devait se forger ma force de volonté dans ce qui m’a été éprouvant, la guerre, la mort et surtout mes très violentes crises d’asthme – telles que j’en parle en tête de ce site : ‘Lorsque dans la nuit de ma chambre d’enfant, je rêvais sur les grains de poussières qui entraient, graines de lumière, dans le rayon du soleil filtré par l’entrebâillement du volet….’ . Au plus positif, je dirais encore, j’y pense souvent, cette calme confiance dans laquelle l’enfant de 11 ans, lors de son premier camp scout sur un plateau sauvage de Lozère, parcourut seul deux kilomètres dans la nuit, avec pour repère une étoile précise dans l’immensité du ciel… Dirais-je que cette disposition d’attention confiante à mon étoile ne m’a jamais quitté ?     Profondeurs du ciel, profondeurs de mon enfance, comment ne pas remonter aussi à ce qui excède mes souvenirs, et me rendre ainsi contemporain de ma petite enfance, de ma naissance, et, infiniment au-delà, de ma conception (cf. 20 du mois, mars 2007). « Nous naissons en permanence » dit Edgar Morin (Connaissance, ignorance, mystère. Fayard mars 2017). Et plus encore, une fois entraînée cette disposition d’attention et recueillement à l’intime, comment ne pas me mettre en harmonie et résonance aux mystères de ma propre réalité humaine (ne serait-ce qu’en visitant Lascaux) – me savoir à l’aboutissement de dizaines de milliers d’années d’hominisation, d’avènement du langage et de l’art – me savoir de la créativité vivante, de la force créatrice au cœur de toutes les espèces vivantes - me savoir d’une réalité corporelle, cervicale, biologique, cellulaire, atomique qui remonte à des millions d’années depuis les mammifères, à des milliards d’années depuis la vie, aux cinq milliards d’années de notre terre, jusqu’à l’éclaté de nos milliers de galaxies en leur origine – me savoir de cette « émergence de la réalité » (de ma réalité aujourd’hui) dont Edgar Morin dit qu’elle « se poursuit en permanence à partir de constituants microphysiques dénués de localité et où notre temps et notre espace sont inexistants » (id. p.37).
    D'où ma question : cette énigme insondable révélée par le savant, ne ravive-t-elle pas notre interrogation sur une dimension hors temps et espace à l'intime de notre réalité spatio-temporelle ? Serait-ce donc là cette dimension mystérieuse du réel où s'accomplirait (et nous serait donnée) l'éternité de nos présences à notre espace et notre durée des jours - là où on dit "résurrection", "vie éternelle" ? Autant de réflexions que j'ose en découvrant ce livre d'une rare densité - Edgar Morin le résumant ainsi : "je vis de plus en plus avec la conscience et le sentiment de l'inconnu dans le connu, de l'énigme dans le banal, du mystère en toute chose (p15)"

40 ans
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    Il y a 40 ans, en août 1977, dans la vallée de la Clarée, à proximité du torrent de mes marbres, avec un outillage extrêmement rudimentaire, j’ai eu grand plaisir, grande aisance à tailler mes trois premiers marbres : la Voile, Gravide et la Caille des blés - alors même que dans les champs voisins j’entendais une caille répétait son appel plaintif – ce même petit cri bref où résonnait mon propre état d’inquiétude. L’évidence était bel et bien de découvrir l’aisance et l’aptitude avec laquelle je maîtrisais cette sculpture. Toutefois de retour à Paris, comme pour refouler cette prise de conscience heureuse, je rangeais ces marbres à la cave, et ce furent ensuite trois années qui entamèrent sérieusement mes forces et mon moral, jusqu’à un séjour en maison de repos, jusqu’à ce que je me traine sur mon lit, dans notre nouvel appartement où mes trois marbres se dressaient fièrement sur le meuble, le long du lit ; ils m’interpellaient clairement : ‘c’est toi qui a fait ça’. Au pire, en juillet 1980, un point de pneumonie me contraignit à l’hôpital à Aix ; on craignait le pire ; mais aussitôt après je montais tout droit au torrent pour prendre une ‘moisson’ de marbres que j’allais tailler tout l’été au bord d’un autre torrent, près d’une maison familiale à Seyne-les-Alpes. L’évidence de cette redécouverte de mon aisance à la sculpture était telle que j’étais décidé, en rentrant à Paris, de trouver un atelier. Et voilà que le 18 octobre, le jour même où, après une psychothérapie de groupe, mon psy m’avait donné rendez-vous pour commencer une psychanalyse, je trouvais mon premier petit atelier à la Villa Corot. La sculpture allait me prendre en force et faire œuvre analytique, bien mieux que le divan – la main, et par là la tête.
    C’est alors que venus très tôt et de façon répétée, des dizaines et dizaines de fois, j’entendis les avis d’experts et connaisseurs de l’art, estimant que cette sculpture était d’une telle qualité et originalité qu’elle présageait, tôt au tard, sa reconnaissance. A partir de là, je devenais donc responsable de poursuivre et enrichir cette sculpture, même s’il fallait user de longue patience et obstination (les années sombres jusqu’à l’incendie de l’atelier, le 22 décembre 1994).
    J’ajoute que 40 ans de sculpture, c’est 40 ans d’insertion (et de distance et désinsertion) dans ma société, dans mon époque, avec l’évolution des goûts et pratiques de la sculpture, au niveau national puis international. J’ai commencé avec la marque d’Henry Moore (1986), et peu avant Brancusi (1957), et voilà dix ans que la sculpture est dominée par l’art contemporain, Jeff Koons, Daniel Buren, Louise Bourgeois…. Force donc est de reconnaître que dans les goûts contemporains (et par là le Marché de l’art actuel), ma sculpture est totalement marginalisée, difficile d’être reconnue – par différence avec le goût des années 1980 qui m’était favorable (mes marbres étant appréciés) – puis est venue la ‘crise’ de 1990, et bien d’autres dérives par la suite. Somme toute donc, une œuvre délaissée à la marge, et pourtant, n’est-ce pas le printemps dernier qu’un Patron de la publicité s’intéressait, chez Perzel, à ma ‘femme recueillie’ en marbre et à ‘la Voile’ (ci-dessus) – le figuratif et l’abstrait ? Et n’est-ce pas ‘Phryné’, en cristal de Daum, qui a été remise il y a un an comme Trophée du Prix de l’Audace créatrice, à l’Elysée ?
    40 ans de sculpture où j’ai connu la chance (et l’exigence) d’avoir la main libre, en même temps qu’elle était attisée par la réflexion et la recherche, puisque je gagnais ma vie comme Ingénieur de recherche dans les Sciences de l’homme (Recherche urbaine, puis Art et Langage). Une chance des plus rares et précieuses que je ne pouvais gâcher en m’exposant au succès du Marché de l’art (et par là ma folie – perdre mon âme) ; il me revenait, il me revient d’entretenir le plus longtemps possible cette main libre à l’ouvrage, sans savoir, sans me soucier de savoir quand sera le temps de reconnaissance de ma sculpture.

5 ans
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    Depuis la mort de mon épouse, infiniment chère, voilà 5 ans que paradoxalement je suis habité du silence de sa présence – du chérissement de son sourire, son visage. Et voilà que cette même attention de ma part, me donnant confiance et chaud au cœur, voilà que ce même recueillement d’être aimé et d’aimer s’est propagé sur d’autres de mes proches relations, parents, amies et amis – dans le silence de leur amour – tant ceux qui ont disparus dans la mort, que ceux que les éloignements de nos vieillesses me retiennent ‘endormis’ – car les voilà terrés, comme enterrés, dans nos longues, longues étendues de vieillesses modernes.


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    Passent les ans, passe le temps et bientôt pour moi l’espace, mais qu’en est-il de notre réalité profonde en son émergence et la créativité incessante de la vie, où selon le savant, il n’est plus ni temps ni espace ? Qu’en est-il de la présence éternelle de vie et d’amour qui nous habite ? ‘Le réel c’est l’amour, c’est ce qui nous fait vivre’ : ‘le vécu de telle et telle présence aimante et aimée’ que je ne cesse de remémorer.