le torrent : détail
le grand passage
détail / vue entière

marbre 2005 h.65cm
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     Des eaux vives du torrent à l'étale du fleuve, le grand passage : entre deux âges, déjà dans l'âge, sa longue coulée de vie ne cesse d'aller et venir du vif de son torrent aux lenteurs de son fleuve.
     Temps de grâce, eaux vives, fraîcheur de source, il aime s'adonner à la sculpture d'une main libre, plus libre encore qu'hier - celle-là seule qui donne vérité et humanité à ses œuvres, et tendresse aux corps. "Seule une parole nue est crue, seule elle crée".      Serait-ce dire aussi, qu'entre chien et loup, l'heur et l'épreuve de l'âge l'auraient peu à peu simplifié, dépouillé, obligé à modérer ses projets, disposé à penser moins développement qu'authenticité, moins reconnaissance que discrétion et réserve - gestes de peu, espère-t-il, gestes plus justes encore… ?
     Et pourtant, pesanteur de fleuve chargé d'alluvions, il compose comme il peut avec l'accumulation de son œuvre - cet art lourd et encombrant que sont ses sculptures de terre, de pierre, de marbre, de bronze, de cristal… (sans parler des photos, des images numériques, des écrits…). Toutes choses passées et comme mortes par rapport à l'acte de sculpter. Il lui revient pourtant de les gérer avec soin puisqu'elles ne furent créées et ne sont là que pour vivre pour d'autres. Et cela sans doute après lui - grâce à lui - malgré lui.
     Somme toute, il lui revient d'entretenir le vif de la vie, la brièveté des eaux vives, autant que la lenteur d'un fleuve avec sa charge d'alluvions comme mortes. On dit que les sculpteurs vivent vieux, du fait de leur activité. Lui est surtout soucieux de savoir s'arrêter à temps, assez tôt, dès lors que la force et l'agilité des mains l'abandonneront - l'audace, la fugacité du bonheur.
     "Il faut accepter d'être fini, d'être ici et pas ailleurs, de faire ça et pas autre chose, d'avoir cette vie seulement. Le Socrate de Valéry le disait justement : 'je suis né plusieurs, et je suis mort, un seul. L'enfant qui vient est une foule innombrable, que la vie réduit assez tôt à un seul individu, celui qui se manifeste et meurt'" (André Gorz. Le Monde 27.10.06).