sculpture, pierre de touche

     Au long du XXe siècle, le discrédit du figuratif n'aurait-il pas été préjudiciable aux avancées de la sculpture, tandis qu'il stimulait celles de la peinture ? Car autant les innovations des arts de l'image trouvèrent leur émulation et leur démarcation dans les formidables progrès et envahissements des images, lesquelles jouaient à plein sur les charmes et attraits de la figure, autant la sculpture n'a pas bénéficié d'un tel challenge et d'un tel environnement. (Reste à comprendre pourquoi elle trouva une telle force d'expression, et par là son discrédit, dans la propagande totalitaire).
     Dans ses formes majoritaires, depuis la nuit des temps, la sculpture (par différence avec l'art de l'image) compose et joue inévitablement avec du corps, de la corporéité : elle est une amplification de l'expression corporelle et donc du rendu figuratif. (Est-ce justement cela qui explique son usage pour la propagande totalitaire ?).
     Et pourtant, n'est-ce pas en vain que la sculpture cherche les corps ? Elle les fige, elle en donne l'illusion (telle l'idole), alors que la vie est plus grande, et ne repose jamais. C'est son faible, sa séduction, sa force. Jetez le discrédit sur la figure, le peintre s'en sortira beaucoup mieux que le sculpteur. Hors figuratif, les effets-images du peintre ont plus de chances et de latitudes que les jeux de masses du sculpteur : figuratives, abstraites, conceptuelles... les sculptures sont toujours ressenties et perçues, en priorité, dans leurs résonances corporelles, dans leurs rappels de la figure.
     Reste que cette mise à l'épreuve de la sculpture en nos temps modernes est révélatrice de ses contradictions : une époque caractérisée par l'invasion des images, lesquelles usent et abusent de la séduction des corps, en même temps que les arts plastiques font les difficiles et se refusent à cette séduction (cette beauté honnie), alors même que les hommes et femmes de ce monde actuel ont une relation tellement appauvrie au corps et au réel, subjugués qu'ils sont par le règne de l'effet-image, du superficiel, de l'illusion, et tandis que la sculpture reste seule, déconsidérée, sans qu'on lui accorde le temps qu'elle exige et une saisie de l'intérieur. Mais dans ce noeud de contradictions n'y a-t-il pas à redouter un retour du figuratif comme il en est du religieux ?

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l'appel
marbre 04 h.49cm