ces remontées du fond de moi

Oh ! tu as bien deviné dans la curiosité insatiable où tu m'entraînes à passer et repasser avec toi les rives de mon fleuve, ses cours et ses fonds chamarrés, ses méandres et entrelacs, ses allures sauvages et ses beaux ouvrages policés, ses milles galets, ses milles sculptures - tu as bien deviné les désirs et amours qui pouvaient donner l'impulsion et la fougue, ou la douceur, la langueur de mes eaux, avec ma façon de m'en ouvrir ou d'être discret, ne serait-ce que par les formes et les noms de ces sculptures qui évoquent mes rêves, qui disent sans dire celles à qui je pensais, celle à qui je les destinais, le plus souvent dans la fusion, la confusion des confluences du fleuve, ses enfouissements et ses oublis, mais parfois aussi, comme cette 'Conversation', en ayant précisément le souvenir de l'amour qui m'animait. Et comment alors te parler de ce moment de dilection sans

t'offenser, sans te laisser deviner qu'il est un visage que je tais, une fidélité secrète, un bonheur au fond du cœur ? Je sais ta sensibilité de femme en même temps que ta délicatesse, je sais ton attente que ça prenne corps aujourd'hui pour toi, je devine que tu n'en chercheras nullement à savoir sur cette autre, mais que tu la béniras pour cet amour lointain qu'elle a fait sourdre en moi et qui, grâce à elle, jaillit maintenant en toi. Parce que tu sais rendre d'aujourd'hui, pour toi seule, ce fleuve qui m'habite, ce fleuve d'homme qui t'écrit, cette profusion dont j'aime sentir avec toi la trace, l'inflexion d'autrefois - ces remontées du fond de moi. Ainsi va ta curiosité, ton regard, ta main... qui de mes eaux mêlées font resurgir les passés de ma vie, ingénuités d'enfance et mouvances variées de mon entrée dans l'âge - émouvances enfouies que je redécouvre pour toi, tout étonné de leur richesse aujourd'hui dans ce bonheur singulier de toi et moi, à nul autre pareil.

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