l'écriture et la sculpture
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Serait-ce les deux façons de donner forme à mes désirs et à mes rêves - deux modes associés dans le même terme grec graphein* ? Oui, si ce n'est que la forme première de mes désirs et mes rêves tient évidemment au vif de l'échange du parlé et du geste avec les miens. Dirais-je alors que mes désirs et mes rêves trouvent dans l'action de l'écriture et la sculpture un accomplissement par défaut, en substitution ou transcription, en reprise ou détour… - autrement dit en deça du réel, en désir et en rêve de ce qui a véritablement force et saveur de vie : la vive-voix, le geste nu, le vis-à-vis, le corps à corps, l'être au monde… ? On reste perplexe devant le modèle de Socrate et Jésus qui n'ont jamais rien écrit ni sculpté, qui furent pleinement leur parole et seulement leur façon d'être - et pourtant en Grèce, combien les sculptures étaient éloquentes, et en Israël, combien fortes les écritures !

* Sculpter, en latin scalpere (gratter, tailler - cf. scalpel), en grec gluphein (graver, inciser, ciseler - cf. glyphe). Ecrire, en latin scribere (tracer des caractères), en grec graphein (inciser) - d'où les mots greffe, graphe, etc.. Famille de termes indo-européens signifiant gratter, inciser, qui rappelle l'origine matérielle de la plupart des écritures, incisée, gravées dans la terre et la pierre. Geste fondamental de la trace, depuis la nuit des temps : les gravures préhistoriques, l'entaille du soc de la charrue dans la terre, l'intaille du sexe de l'homme à la pierre fine de la femme.


la mémoire de l'eau
2005