Pourquoi des visages d'humanité emprunts de bonheur ?

    Pourquoi ce visage de Jeanne d'Arc n'offre ni dureté ni souffrance ? Pourquoi chez elle aurais-je lénifié la violence de la guerre, celle du procès et du bûcher ? Pourquoi dans l'ensemble de ma sculpture, les visages et les corps respirent sérénité et bonheur ? Pourquoi, même mes marbres abstraits, semblent emprunts d'aménité et d'harmonie ? Je dirais qu'il y a une inclination de ma main qui, en avançant l'ouvrage, tend naturellement à le résoudre selon quelque heureuse venue. Et je dirais que cette propension vient de plus loin, du fond de moi : en avançant l'ouvrage, c'est aussi une résilience de mes débats intimes en ses duretés et tourments. " Tu reconnaîtras la vérité de ton chemin à ce qu'il te rend heureux " Aristote
    De plus si je suis 'naturellement' enclin vers quelque positivité ou optimisme, je reconnais aussi de ma part un propos délibéré : un message voulu de ma sculpture. Sur ce point toutefois, je subodore un déséquilibre, ou une tension forcée d'équilibre vers le positif, venue d'une éducation et d'une discipline depuis l'enfance, au long d'une vie assez chargée d'épreuves : soit deux plis d'habitudes qui s'enchaînent : être dur au mal / reprendre goût à vivre.
    1° L'homme qui est dur au mal, écoute mal son corps et son cœur dans leurs misères. (Donc il peine à se réconcilier avec lui-même, puisque ses duretés de vie sont refoulées par en dessous). Et quand bien même cet oubli de soi l'a rendu plus disponible et à l'écoute des misères d'autrui, plus attentif aux duretés du monde, il reste que tout cela serait plus juste si cet homme s'écoutait mieux lui-même - et tout cela compte dans la justesse de sa sculpture.
    2° De même que si sa capacité à reprendre goût à vivre est tant soit peu forcée, si sa positivité et son optimisme ne s'accordent pas à une juste écoute de lui-même, tout cela se retrouvera, tant soit peu, dans sa façon de sculpter.
    Voilà un de mes débats de fond que les avancées de ma sculpture sauront peut-être résoudre.

PS. Deux correctifs : c'est dans l'écoute même de l'autre qu'on est amené à mieux s'écouter soi-même (cf.p.3,4,7…) ; et si en sculpture, c'est risquer la mièvrerie que de raconter le bonheur, c'est certainement une voie moins aisée que le registre de la révolte, de la dureté, de la laideur.

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Jeanne d'Arc
modèle plâtre de la statue de Rouen (1998)