d'une nuit sans fond *
marbre 1980-97, h.39cm


retour
20 mars 2007


conception //// naissance

   Deux moment de la vie : son origine, sa venue au monde, et sa venue au jour. En pratique, chez nous, plutôt que l'instant de la conception, c'est le jour de la naissance qui compte : l'heureux évènement attendu, la fête, le nom, l'État civil, l'horoscope, les anniversaires…. Chacun privilégie cette date comme le véritable commencement de sa vie, tandis que l'origine de son existence d'embryon, s'enfonce dans une nuit des temps insaisissable, et par là insignifiante, sauf le rattachement biologique à père et mère - sachant aussi le dévolu jeté aux embryons dans les pratiques contraceptives, abortives et génétiques modernes, et sachant la quasi-absence d'amour dans bien des conceptions artificielles.
Naissance plutôt que conception. C'est ainsi que certains se disposent à renaître ou revivre leur naissance (baptême, rebirth…), tandis qu'une plongée aux origines est inconcevable. Et c'est ainsi qu'ils envisagent leur mort en regard de leur naissance dans ce qu'elle a de tangible (une renaissance dans l'Au-delà ou quelque réincarnation), mais non pas une mort mise en regard de l'infiniment profond de leur conception.
Pourquoi alors, depuis longtemps, j'en suis venu à être plus attentif et présent à ma conception qu'à ma naissance ? Trois réponses.

Sans doute du fait que je suis homme et père. Je ne suis pas femme, celle qui écoute son corps dans l'attention à ses cycles d'ovulation et par là ses conceptions possibles ; et je ne suis pas mère, celle dont la gestation et l'enfantement sont de sa chair et de son cœur, de son temps et son attente, en long aparté avec son enfant. Pour l'homme, pour le père, seule compte une union à la femme, avec ou sans amour, avec ou sans bonheur, d'où un spermatozoïde a fécondé l'ovule. Mais il est vrai qu'au plus heureux, de la part des hommes et femmes aimants, c'est tout le jeu d'harmonies, séductions et amours qui engendre véritablement leur enfant et le porte jusqu'à ce qu'il aille sa vie… et leur échappe… et qu'ils meurent.

Sans doute du fait que je suis sculpteur. Car jamais je n'imagine le temps de mes sculptures à la façon d'une gestation jusqu'à une mise au monde, un accouchement et moins encore les souffrances de la parturiente. Ma sculpture est conception : j'aime y évoluer dans ces eaux profondes des harmoniques, séductions et amours où je suis seul à devoir répondre, mais toujours dans l'accordance et l'émouvance d'un autre, d'une autre, d'un monde d'autres, d'où s'élabore et surgit une œuvre singulière - une œuvre qui, évidemment, n'est ni un enfant ni un être aimé - une œuvre inanimée de terre, de pierre ou de bronze, neutre mais comme " habitée " ou " chargée d'une présence "… ce qui m'échappe complètement…. et je peux mourir.

Quant à me remettre moi-même en filiation, je suis intimement convaincu, depuis longtemps, que ma conception m'importe bien plus que ma naissance. Sans doute parce que ma venue au jour, si elle compta pour les autres, ne fut, pour moi, qu'un passage critique de ma vie, où ça se jouait essentiellement entre ma mère et moi ; de même que ma vie utérine. Tandis que, d'une nuit sans fond, véritable big-bang, je pressens ma conception et j'y accorde les ondes et impulsions d'un étonnant surcroît d'amour de mon père et ma mère ; car j'en suis sûr, cadeau du Ciel (1), ce furent, malgré tout, grandes fêtes d'amour : harmoniques et résonances originelles, à l'infime de mon être, un bonheur d'aimer qui m'habite et m'attend à jamais.

(1) Loin de moi l'impudeur de me vanter des chances et des cadeaux de la vie (des bénédictions et des grâces) dont j'ai été comblé. Mais devrais-je les taire pour autant ? De même que l'on sait gré à la Sulamite d'avoir écrit le Cantique il y a 2300 ans, de même par ma sculpture et quelques écrits, j'ose exprimer mes émerveillements et séductions de la femme et de l'amour. D'autres raconteront leurs voyages ou leur fortune, moi je raconte cette frêle chance de la vie qu'est l'amour, si peu vécu par le monde et tant désiré, et dont le moment de la conception de chacun me semble tellement important, non seulement dans une analyse psycho-généalogique, mais surtout dans une attention sensible dont ceux et celles qui furent vraiment conçus d'amour, peuvent tirer une vertu, une force immense.

* Créé, conçu une première fois dans la nuit d'hiver 80-81, avec un premier nom (fougue de vie), ce marbre difficile dût être repris plusieurs fois jusqu'à sa forme définitive et son nom, en 1997, alors que j'avais vraiment le sentiment qu'il me venait d'une nuit sans fond (comme moi-même ?).