20 février 2008

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la beauté féminine d'être debout

     Il est un passage de mon site auquel je pense souvent, à la page 12, où je parle de l'intimité de la femme, toute d'ombre et de nuit, que ma sculpture ne souhaite surtout pas exhiber (à la façon du tableau de Courbet ou des dessins de Rodin), mais exprimer de façon allusive et elliptique, pour évoquer et suggérer, pour montrer sans montrer cette merveille du monde, d'autant plus heureuse et séduisante qu'elle se donne hors de son atteinte, qu'elle entraîne à la deviner tout en restant en échappée, qu'elle prend forme claire et belle tout en demeurant cachée.
Or il se trouve que ce que j'écris ensuite de la posture debout vient de trouver deux échos, deux développements dans ma rêverie et ma réflexion, l'un venant de Chine, de François Cheng, et l'autre d'Inde, d'un ami du Kérala.
     Mais relisons d'abord ce que j'écris : " lorsqu'il y a quelques millions d'années, les humains se sont redressés, le sexe de la femme s'est dérobé à la vue, et progressivement les jeux de parure et de voile ont fait leur séduction - non pas tant pour le couvert de ce que la nudité humaine exhibe, que pour le port de ce que la nudité féminine recèle d'invisible. Voilà l'erreur de Courbet et du "bas les voiles". A l'enfance de l'humanité, à la genèse de tous les humains, parmi ce qui est venu les habiter de mystère, n'est-ce pas, au plus profond, bouleversant et heureux, cette présence vivement désirante mais cachée de la femme ?"

     J'étais de mariage l'été dernier au Kérala, et en parlant avec un ami indien, homme de théâtre, je lui disais mon étonnement de la beauté des femmes dans leur sari, par différence avec la tenue quelconque des hommes. En guise de réponse il me fit remarquer que c'est l'inverse chez les animaux : ce sont les mâles qui ont plus allure que les femelles, le lion par rapport à la lionne, le paon, le coq, etc. Pourquoi ? Sans le lui dire, je pensais à ce passage de mon site qui me semble être la réponse - de ces choses qu'on ne dit qu'avec discrétion.
     Quelques temps plus tard, je découvre une page de François Cheng (dans son livre : 'Cinq méditations sur la beauté'), où il dit l'importance de la posture debout dans l'avènement de la beauté humaine, mais sans pour autant tirer, de cette posture, ce qui a pu être un avantage spécifique pour la femme, alors même qu'il vient d'expliquer qu'en Occident, mais surtout en Chine, c'est la femme, bien plus que l'homme, qui incarne la beauté. Je le cite : en parlant de la Joconde, il écrit qu'entre elle et la femme des cavernes, "il y a comme un 'saut qualitatif'. Pourtant, dans la femme des cavernes se trouvait déjà toute la promesse de la beauté de l'être humain. Car 'se dresser' fut le moment inaugural d'une existence proprement humaine. Cette position debout a entraîné une triple libération. Elle a libéré les mains, ce qui a permis l'homo faber. Elle a libéré la glotte et la corde vocale, ce qui a permis l'homme parlant et à la voix humaine de devenir cet outil magique pour la parole et le chant. Enfin, elle a libéré le visage ; au lieu d'être une 'gueule' tendue en avant au ras du sol comme celle de l'animal qui va d'erre en erre à la recherche de nourriture, le visage désormais fait partie d'une tête qui se pose paisiblement et noblement sur les épaules… ". L'auteur développe ensuite ses considérations sur la beauté du visage, suggérant un paysage qui se livre et se déploie, et s'échange en vis-à-vis. Toutefois dans son propos sur la beauté féminine (sur la Joconde), pourquoi donne-t-il à entendre que la virtualité de beauté du visage s'appliquerait de façon privilégiée à la femme ? Pourquoi pas tout autant à l'homme ?

     La lecture de cette page me laisse aussi perplexe que la remarque de l'Inde. A la 'triple libération' dont parle François Cheng, il oublie ou il évite d'ajouter le changement de statut du sexe de la femme et par là son vécu, dans l'avènement de la posture debout. Je suis convaincu que la véritable virtualité de beauté est là, à l'avantage de la femme - selon le paradoxe du caché qui engendre la beauté et de l'ombre d'où vient l'éclat. (Évidemment il faudrait voir aussi ce qu'induit la posture debout pour ce qui est du sexe de l'homme, de son vécu, de sa tenue, par différence avec la femme - mais j'en reste à elle).

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     " Chaque fois que je me retrouve au-dessus de ces longues étendues couvertes de buissons et d'air… qui s'achèvent très loin en vapeurs bleues, qui s'achèvent en crêtes de vagues, en écume… je perçois, invisibles, plus hauts, suspendus, ces buissons de cris d'oiseaux, ces points plus ou moins éloignés d'effervescence sonore. Je ne sais quelles espèces d'oiseaux chantent là, s'il y en a plusieurs, ou plus vraisemblablement une seule : peu importe. Je sais que je voudrais, à ce propos, faire entendre quelque chose (ce qu'il incombe à la poésie de faire entendre, même aujourd'hui), et que cela ne va pas sans mal… C'est une chose suspendue, 'en suspens' - l'arrêt, l'attente, le souffle retenu pour ne rien troubler d'un précieux équilibre - et 'flottante' : montant et descendant doucement sur place, tel un amer selon le souffle des eaux… (Ici) l'image cache le réel, distrait le regard, et quelquefois d'autant plus qu'elle est plus précise, plus séduisante pour l'un ou l'autre de nos sens et pour la rêverie… Il faut seulement dire les choses, seulement les situer, seulement les laisser paraître. Mais quel mot, tout d'abord, dira la sorte de sons que j'écoute… qui m'ont saisi alors que je marchais ? " Jaccottet (Paysages avec figures absentes).

     J'ai tant connu ces buissons de Provence, calmes ou secoués par le vent ! Sans doute est-ce de leurs émois et froissements, de leurs odeurs et bruissements que j'en suis venu à goûter les véritables buissons qui me tiennent tellement attentifs et séduits à leur chant, à la part secrète et intime qui s'y cache - le sexe buissonnant de la femme, tel qu'il a pu arriver que ce cadeau me fut donné, tel que, sans réserve, pour toute femme que je trouve belle, je me permets de l'imaginer en cette touffe, cette masse de poils au bas de son ventre, qui attire et cache la fente et l'abîme auquel il donne accès, ce véritable jardin à l'entrée du paradis qui fascine mon regard et séduit ma main… *

     " ... Des cadeaux nous sont faits quelquefois, surtout quand nous ne l'avons pas demandé, et de certains d'entre eux, je m'attache à comprendre le lien qui le lie à notre vie profonde, le sens qu'ils ont par rapport à nos rêves les plus constants… (Mais à trop vouloir saisir ces choses) ces entreprises les dénaturent, nous les rendent étrangères ; sous prétexte d'en fixer les contours, d'en embrasser la totalité, d'en saisir l'essence, on les prive du mouvement et de la vie ; oubliant de faire une place à ce qui, en elles, se dérobe, nous les laissons tout entières échapper " (id)

* sculpteur, combien je suis choqué que les nus de femmes en marbre et en bronze, depuis les Grecs, annulent cette pilosité au bas du ventre, ou la remplacent par un faux bourrelet, ou une approximation fuyante, et d'une façon ou d'une autre n'osent rendre le début de la fente.








flamenco
bronze 2005 1/8 h.38cm